J’écris cet article pour vous faire part d’une colère présente en moi, très forte, face à certains dysfonctionnements de nos institutions.
Derrière les institutions : service social, tribunal, commissariat, sécurité sociale, école…. il y a des personnes. A condition qu’elles ne cherchent pas à se retrancher derrière leurs fonctions et leurs institutions.
En tant que professionnels, nous avons un pouvoir, non pas magique mais un pouvoir lié à nos fonctions : le pouvoir d’accorder ou non un entretien à une personne, de la faire accéder à tel ou tel droit, de donner suite à une demande…
Que faisons-nous de notre pouvoir ? Cherchons-nous à l’utiliser contre l’autre afin de garder la position dominante ? Empiétons-nous sur l’espace de liberté d’une personne en décidant à sa place ce qui est bon pour elle?
La personne que nous recevons est un autre, c’est un être différent, avec un cheminement qui lui est propre.
Dans ma pratique professionnelle, je vois trop de personnes qui sont jugées par rapport à ce qu’elles vivent, trop de personnes qui se voient refuser des droits parce que celui qui la reçoit n’a pas le temps, est débordé ou même agacé…
Savons-nous encore voir la personne au-delà de sa demande ? Savons-nous qu’une personne pleine d’émotions, de ressources, de blessures, est là devant nous ?
Récemment, j’ai vu une personne victime de violences conjugales menacée de mort, se voir reprocher par un professionnel de la justice le fait d’avoir été en couple avec cet homme. Ce professionnel sait-il qu’il exerce une violence supplémentaire à l’encontre de cette personne, que celle-ci s’en remettra d’autant plus difficilement que cette institution devrait au contraire la protéger?
Une autre personne s’est vue refuser l’accès à un service social pour une aide alimentaire avec son enfant, au motif qu’elle ne réside pas depuis plus de 3 mois dans l’arrondissement (mais seulement depuis 2). Rien à faire, aucune exception à ce principe n’a été possible.
Oui, il arrive que les administrations aient ces réponses-là, déshumanisées, déconnectées de la réalité de la souffrance des personnes. Toute institution est susceptible de produire ce type de dysfonctionnements.
Il s’agit là de violence institutionnelle. Une violence aveugle, acerbe, administrative, efficace… Une violence qui nous déshumanise, de celle qui nous fait perdre espoir dans le genre humain. Une violence, c’est ce qui nie l’altérité.
Il est urgent de réintroduire de l’éthique, de l’écoute dans nos relations.
Je travaille avec des personnes victimes. Quand je souligne des abus de pouvoir (refus de prendre des plaintes de la part de la police, propos culpabilisants sur la victime du type « c’est de votre faute », propos jugeants de la part d’avocats..), on me répond que le personnel n’est pas formé à l’accueil des victimes et qu’il faut les former. Personnellement, je ne crois pas qu’il s’agisse de recevoir des victimes en tant que victimes, mais déjà simplement en tant que personnes (ce serait déjà un progrès!)
Pour avoir travaillé en milieu carcéral et ensuite auprès des personnes victimes, je me suis toujours efforcée de recevoir la personne en tant que personne, non parce qu’elle était victime ou auteur. Je me suis attachée autant que je le pouvais à faire la distinction entre la personne et sa demande, entre la personne et son comportement.
C’est une question d’éthique, pas d’étiquette selon moi…
Doit-on faire des formations à l’éthique ? Doit-on enseigner que chaque personne a besoin d’être entendue et respectée, quelle que soit sa situation ?
Peut-être, après tout…
Ce que je sais maintenant, c’est qu’en chacun d’entre nous, il y a des zones d’ombre et que nous pouvons aussi devenir cet autre déshumanisé si nous n’y prenons pas garde.
A chacun de se rappeler que la violence peut poindre en soi, si nous ne sommes pas vigilants. Car nous pouvons aussi faire partie de ces personnes qui n’ont pas le temps, se retranchent derrière leur hiérarchie, et ne voient plus les gens au-delà de leurs simples demandes. Nous pouvons être cet autre qui utilise son pouvoir de façon négative.
A chacun d’entre nous de se montrer vigilant pour construire une société plus humaine.
A chacun aussi de s’insurger lorsque c’est nécessaire contre des violences inacceptables.
Allez, je m’arrête 😉
Je vous souhaite un excellent week-end, et je vous invite à partager cet article si vous aussi vous souhaitez introduire plus de conscience dans ce monde pour produire moins de violence.